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Scandale impliquant des influenceurs : quelles réponses des entreprises partenaires ?

Karim Ben Slimane, Operation Varsity Blues scandal, influenceur, stratégies de marque, communication, marketing

Dans une étude récente¹, publiée dans International Journal of Market Research, Belinda Kintu, diplômée du MBA 2020 de l’ISC Paris et Karim Ben Slimane, professeur à ISC Paris, cherchent à analyser les différentes approches stratégiques que les marques utilisent pour gérer les retombées négatives lorsqu’un influenceur avec lequel elles sont partenaires est au centre d’un scandale.

Coupable par association

Les deux auteurs ont mené une étude de cas sur l’influenceuse Olivia Jade, impliquée dans ce qui a été appelé le Operation Varsity Blues scandal, où des parents ont soudoyé les responsables des admissions de grandes universités américaines pour obtenir des places pour leurs enfants.

Lorsqu’une marque s’associe à des personnalités connues, dans certains cas des influenceurs, c’est pour le meilleur ou pour le pire puisqu’elle associe l’image de ces personnalités à ses propre valeurs et à sa propre réputation. Le partenaire peut alors faire courir à la marque le risque d’être “coupable par association”, ce qui la rend vulnérable à toute critique à laquelle l’influenceur pourrait être confronté.

Rassemblement des données autour du scandale

Pour comprendre l’impact de l’Operation Varsity Blues scandal sur les marques liées à Olivia Jade, les chercheurs se sont appuyés sur l’étude des douze marques qui ont reçu le plus de couverture médiatique à la suite du scandale, notamment Sephora, TRESemmé, HP et Amazon. En particulier, ils ont examiné 125 articles de presse couvrant le scandale dans le New York Times, le Washington Post, Time Magazine, CNN, Fox et CBS, car on peut dire que ces médias reflètent les principales opinions sociales et politiques du public américain. Ils ont également examiné 908 commentaires mentionnant les marques, publiés sur twitter, instagram et sur le site web des marques.

Analyse : utilisation de deux méthodes de recherche issues de la « Théorie ancrée »

Les auteurs se sont appuyés sur une recherche qualitative. Contrairement à la recherche quantitative, la recherche qualitative est un moyen qui permet d’analyser et de comprendre des phénomènes, des comportements de groupe, des faits ou des sujets. Plus précisément, ils ont utilisé ce que l’on appelle des méthodes de la théorie ancrée pour analyser les données. Les méthodes de la théorie ancrée ont été créées en 1967 par deux sociologues, Barney Glaser et Anselm Strauss et développées par la suite par d’autres chercheurs comme Yvonna Lincoln et Egon Guba. Elles visent à construire des théories non pas sur la base d’hypothèses prédéterminées (méthode hypothético-déductive) mais sur la base de données de terrain (méthode inductive). Ces deux méthodes employées sont :

the naturalistic inquiry

    • , « une approche de la compréhension du monde social dans laquelle le chercheur observe, décrit et interprète les expériences et les actions de personnes et de groupes spécifiques dans un contexte sociétal et culturel. »²

the constant comparison technique

    , un processus d’analyse des données qui « consiste à décomposer les données en « incidents » ou « unités » distincts et à les coder en catégories »³ qui seront ensuite comparées et affinées afin de produire des hypothèses et des théories.

En utilisant ces méthodes, ils ont analysé les données au fur et à mesure de leur collecte, en se concentrant sur les décisions actives prises par les marques impactées dans les jours et les semaines qui ont suivi la nouvelle du scandale. Leur analyse a consisté en trois phases principales :

    • l’analyse de la chronologie des événements
    • l’identification des actions de la marque et des réactions du public
    le développement de thèmes agrégés et l’élaboration d’un modèle de structure de données

Résultats de cette étude : comment ces douze marques ont-elles géré les retombées négatives de ce scandale ?

En évaluant et en comparant les stratégies adoptées par les marques impactées pour gérer les retombées négative liées au scandale Olivia Jade, deux observations principales ont été faites.
La première observation est qu’à la suite d’une pression publique importante, plusieurs des marques se sont éloignée d’Olivia Jade par un “acte de dissociation“.
La seconde constatation est que, à l’inverse, certaines des marques n’ont pas du tout réagi.

Belinda Kintu et Karim Ben Slimane ont divisé ces deux constatations en quatre stratégies :

la dissociation proactive

    • : réponse immédiate de la marque impactée qui se dissocie de l’influenceur dont l’image est ternie.

la dissociation réactive

    • : se produit lorsque la marque impactée attend avant de répondre au scandale.

la dissociation mimétique

    • : Alors que de plus en plus de marques impactées commençaient à prendre ouvertement leurs distances par rapport au scandale, certaines marques qui n’avaient pas encore réagi publiquement ont été mises sous pression pour réagir de la même manière.

pas de réponse

    : Dans le groupe des marques impactées, certaines entreprises choisissent de ne pas répondre du tout.
Karim Ben Slimane, Operation Varsity Blues scandal, influenceur, stratégies de marque, communication, marketing

Recommandations pour atténuer les retombées négatives

L’utilisation des médias sociaux pour promouvoir les marques et les produits est une pratique de marketing qui paraît aujourd’hui une évidence. Dans cet article, les auteurs ont adopté une position critique pour sensibiliser les dirigeants aux effets collatéraux que les scandales qui impliquent des influenceurs peuvent avoir sur leurs entreprises. Ce phénomène est connu sous le nom de retombées négatives d’un scandale (scandal spillover). Lorsqu’un influenceur est entaché par un scandale, les entreprises doivent réagir d’une manière ou d’une autre à ses retombées négatives, sinon elles risquent de perdre le soutien des consommateurs.

Ils ont également identifié trois déterminants de ces réactions :

    • Temps : La question de savoir quand les entreprises doivent réagir aux retombées négative d’un scandale est une question clef. Le temps influence l’intensité des réactions de la presse et des utilisateurs des médias sociaux. Plus le temps de réponse des entreprises est long, plus elles seront confrontées à des critiques et à un jugement négatif de la part du public.

La nature de la déclaration

    • : Les entreprises doivent annoncer et divulguer leur dissociation avec les personnes influentes pour atténuer les retombées négative du scandale. Lors d’une déclaration publique, le langage utilisé dans la déclaration sera examiné et sujet à interprétation par le public, les entreprises doivent donc faire preuve de sagesse dans le choix des mots.

La profondeur des actions

    : En ce qui concerne les entreprises se dissociant par le biais d’actions publiques, il est important de considérer la profondeur de l’action. Au niveau le plus élémentaire, cela prend généralement la forme d’un retrait du matériel de marketing qui contient des images, ou la mention de la personne problématique ou, dans ce cas, de l’influenceur problématique.

Les marques doivent envisager sérieusement de mettre en place des lignes de conduites claires pour se protéger contre les conséquences potentielles et gérer efficacement les retombées négatives d’un scandale. Les conclusions de Belinda Kintu et Karim Ben Slimane et les facteurs déterminants énumérés dans cet article offrent aux managers un point de départ pour gérer au mieux un scandale impliquant un influenceur avec lequel elle travaille.

¹ Belinda Kintu and Karim Ben Slimane. « Companies Responses to Scandal Backlash Caused by Social Media Influencers »: International Journal of Market Research, septembre 2020. link to the article

² Neil Salkind, “Naturalistic Inquiry” in Encyclopedia of Research Design, Sage, 2010. link to the definition

³ Defining the Constant Comparison Method – QDATRAINING. https://qdatraining.com/defining-the-constant-comparison-method/