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En quelques années, les rapports au travail, à l’engagement, à la consommation ou à l’autorité se sont transformés à grande vitesse. Cette évolution n’est ni linéaire ni uniforme : elle bouscule les repères établis, fait émerger de nouveaux risques et redéfinit la responsabilité des acteurs économiques.
Il ne s’agit plus simplement de s’adapter : les entreprises doivent aujourd’hui se reconfigurer face à une mutation profonde des attentes sociétales. Ses transformations imposent aux dirigeants une lecture élargie du changement et une capacité à réinventer le sens des organisations.
Depuis la pandémie, les attentes des individus vis-à-vis des institutions – entreprises, États, universités – ont profondément évolué. Plusieurs dynamiques convergent :
Ces mutations sociétales redéfinissent en profondeur les conditions de compétitivité, d’attractivité et de performance des organisations.
1. La performance ne se résume plus à la rentabilité.
Les investisseurs, eux-mêmes sous pression réglementaire et sociétale, réorientent leurs critères. L’ESG (environnement, social, gouvernance) devient une norme stratégique. BlackRock, par exemple, exige désormais que les entreprises démontrent un alignement clair avec les Objectifs de développement durable (ODD).
2. Le leadership doit intégrer de nouvelles dimensions.
Le dirigeant n’est plus uniquement un gestionnaire ou un stratège. Il devient aussi médiateur, garant du sens, porteur d’engagement collectif. Cela suppose des compétences nouvelles : écoute, courage éthique, lucidité politique. C’est un changement de posture.
3. Le contrat social au sein des entreprises est à re-négocier.
Les attentes salariales ne suffisent plus. Les collaborateurs attendent du respect, de la reconnaissance, de la liberté et de la cohérence. Cela nécessite des modes de gouvernance plus horizontaux, un dialogue social renouvelé, et une culture d’entreprise repensée autour de la confiance.
4. La responsabilité devient systémique.
Les entreprises sont de plus en plus jugées non seulement sur ce qu’elles font, mais sur ce qu’elles permettent ou empêchent. Cela inclut : leur impact sur la santé mentale, leur empreinte carbone, leur rôle dans l’éducation, leur place dans les territoires. La notion de responsabilité déborde le cadre juridique pour devenir politique au sens large.
Cette évolution sociétale n’est pas une simple tendance : elle redéfinit le terrain de jeu. Le sociologue Bruno Latour évoquait déjà en 2020 la nécessité de « redescendre sur Terre » : sortir des logiques de performance abstraite pour renouer avec des attachements concrets – environnement, liens humains, éthique de responsabilité.
Les entreprises sont désormais sommées de rendre des comptes non seulement à leurs actionnaires, mais à l’ensemble de leurs parties prenantes : salariés, clients, communautés, territoires, générations futures.
C’est une mutation de fond. Et c’est aussi une opportunité : celle de redonner du sens au projet entrepreneurial, de réinventer des formes d’organisation plus cohérentes avec les défis du siècle, de réconcilier stratégie et conscience.
Dans ce contexte de transformation sociétale accélérée, la fonction dirigeante est appelée à se réinventer. Il ne suffit plus de piloter la croissance ou d’optimiser les marges : il faut aussi interroger les finalités, articuler stratégie et éthique, comprendre les attentes collectives en profondeur.
Cela suppose une montée en complexité des savoirs et des responsabilités. Une réflexion exigeante, à la croisée de l’analyse critique, des sciences sociales, du droit, de la gouvernance.